Le 26 novembre dernier, Edge sortait son dernier projet OFFSHORE, fruit d’une année de travail mouvementée entre la sortie d’un projet commun “Private Club” (avec Jazzy Bazz et Esso Luxueux) et quelques apparitions sur le projets d’autres. Le rappeur parisien avait déjà fixé les bases de son univers et de son talent incontesté avec OFF, EP sorti en 2020, et nous offre pour cette fin d’année 14 titres, variant les couleurs des prods et comportant de jolis featurings (on citera notamment le remarquable “20 000” avec Alpha Wann, ainsi que l’hypnotisant “Palace” avec Jäde). Si vous ne deviez retenir qu’un nom dans ce flot perpétuel de nouveaux arrivés sur la scène rap, Edge serait sans aucun doute l’élu. Portrait d’un artiste rappant la brume et le feu à l’aube d’une carrière qui s’annonce fructueuse.
Quand as-tu su que tu allais consacrer ta vie à la musique ?
Je l’ai su début 2017, parce qu’il y a pas mal de choses qui se sont passées dans ma vie à ce moment-là. J’étais un peu paumé professionnellement parlant, mais à côté de ça comme j’ai un groupe d’amis qui est dans la musique, j’étais toujours en studio. Ça durait depuis un petit bout de temps car je les ai connu juste après le bac.
Si tu n’avais pas fait de la musique, tu sais ce que tu aurais fait ?
Dans un monde idéal, j’aurais été soit entraineur de basket car à un moment donné j’entraînais les petits du quartier avec un ami, soit j’aurais aimé travailler dans la restauration. Même si maintenant je n’ai plus trop le temps de cuisiner (rires).
Peu de temps s’est écoulé depuis ton dernier projet OFF, sorti il n’y a même pas un an (quelle productivité!), est-ce qu’il y a des choses qui ont changé de ton côté depuis ?
Je pense que j’ai pris confiance, ça m’a conforté dans le sens où j’ai réalisé que j’avais envie de faire de la musique à plein temps, de ne penser à rien d’autre qu’à la musique.
Un des morceaux qui nous a vraiment marqué c’est « Schémas Monotones« , où tu parles du quotidien, parfois fade et répétitif qu’on a parfois pu connaitre pendant les confinements. Est ce que tu peux m’en dire plus sur comment est né ce morceau ?
C’était pendant le premier confinement, avec mon producteur Johnny Olaf, on est partis s’isoler en Bourgogne, et on a passé les deux mois là-bas. On avait ramené un peu de matos pour faire du son, et tous les jours on faisait du son. Le jour où j’ai fais Schémas Monotones, c’était un peu particulier parce déjà de base je ne dors pas de ouf, mais ce jour-là j’ai vraiment dû me réveiller vers 5/6h du matin. J’avais une envie encore plus particulière de faire un morceau, Johnny dormait encore et moi je venais de terminer Youtube (rires). J’avais pas de prod’ sur le côté qu’il avait pu faire ou quoi, et je me suis dis que j’allais déjà commencé quelque chose qu’on pourrait retravailler avec lui. Quand il s’est réveillé, je lui ai dit “Écoute gros, essaye de faire une prod’ dans ce délire-là” en lui faisant écouter ce que j’avais fait. Puis, je suis parti 15/20 minutes, et quand je suis revenu j’ai vu qu’il était sur la prod’, mais en train de faire un truc qui n’avait strictement rien à voir avec ce que je lui avais donné. Puis finalement ça m’a fait tiqué parce que je me suis dis que ce n’était pas du tout ce que j’imaginais, mais que c’était mille fois mieux. Ça m’a très vite inspiré, et pendant qu’il faisait la prod’, j’écrivais en même temps. C’est le morceau que j’ai fait le plus rapidement dans ma vie, c’était fluide et ça m’a fait kiffé de ouf! J’ai très vite enregistré le premier couplet et j’ai trouvé que c’était cool quoi ! J’ai d’abord enregistré une maquette dehors et après dans le petit studio à l’arrache qu’on avait fait, on avait pris un portant sur lequel on avait mis une couette, un cintre avec le micro, un durag et c’est tout. Ce qui est particulier sur ce morceau, c’est que lorsqu’on était là bas, on a fait beaucoup de maquettes, beaucoup de morceaux, mais celui-ci c’est le seul que je n’ai pas eu besoin de reposer. Alors que tous les autres j’ai eu besoin de les retravailler tu vois, c’était une couette quoi ! Je savais qu’en plus si je le refaisais, j’allais perdre l’émotion.
Comment se passe ton processus d’écriture ?
J’essaye de m’inspirer de tout ce que je peux voir autour de moi, d’écrire au quotidien. J’essaye toujours de capter un truc dans la rue, dans le métro, qui va me permettre de vouloir écrire quelque chose. Après quand je dois commencer un morceau, c’est que je préfère souvent l’écrire en même temps que la prod’, mais bon c’est pas toujours possible, mais j’aime ça parce que comme je fais des morceaux mélodieux, ça va me permettre de trouver une mélodie que je ne trouverais pas si on m’envoyait directement la prod’ et que je devais trouver une mélodie. Ce sont vraiment des petites spécificités que j’arrive à capter dans le morceau et qui font que j’arrive à faire telle ou telle mélodie. L’écriture et la prod’ viennent donc généralement ensemble. Les refrains c’est ce que j’aime le plus travailler parce que j’adore les mélodies, et je trouve que le moment où tu as plus le champs large pour les développer, ce sont les refrains.
Sur OFFSHORE, on constate une certaine diversité dans tes prods et tes sons, est ce que c’est une volonté d’expérimenter de nouvelles choses ? De toucher à tout ?
C’était carrément une volonté, parce que j’ai des influences qui sont assez larges et je sais que musicalement j’aime beaucoup tester des trucs et m’inspirer de ce que j’écoute.
Concernant tes influences, est ce que tu peux nous en citer quelques-unes ?
Mes influences sont très éclectiques, je peux très bien kiffer un morceau de ouf de Young Thug comme un morceau de Tame Impala, ou encore des morceaux un peu plus zouk que mes darons pouvaient écouter et avec lesquels j’ai grandi. Un artiste par exemple qui s’appelle Jean-Michel Rotin qui fait du zouk, c’était le Michael Jackson de l’époque quand j’étais petit tu vois (rires).
Qu’est ce qu’ils écoutaient tes parents ?
Je dirais majoritairement du zouk et un style qu’on appelle le Gwo Ka qui est très instrumental au niveau des percussions. On écoutait notamment le groupe Kassav’ qui fait du zouk mais il y a aussi pas mal de Gwo ka dans la musicalité.
Est ce que c’est important pour toi d’être entourés d’artistes ? Quelle part d’influence ça comporte dans le travail ?
Ça stimule au quotidien c’est sûr, c’est quelque chose qui me motive, qui crée un espèce de microcosme mais qui te pousse à toujours vouloir faire du son, aller plus loin. Mais ce n’est pas que propre à la musique, peu importait le domaine, je pense que c’est tellement important de réussir à se stimuler mutuellement dans ton environnement.
Sur le projet commun de « Private Club » : c’était comment d’écrire un projet à 3 ? Est ce que ça détend l’atmosphère par rapport à un projet solo ?
Mais grave ! Il y a vraiment un côté où t’es plus libéré, sans être péjoratif, il y a un délire un peu “cour de récré”. Il faut savoir qu’on a fait Private Club en même temps qu’on préparait nos propres projets. On a commencé à préparer Private Club en septembre 2020, mais avant ça j’avais fait “Schémas Monotones” et peut-être deux autres sons tu vois… Mais le gros du projet il s’est fait quand on faisait Private, et c’est pareil pour Jazzy Bazz, il y a une bonne partie de son projet qui s’est fait en même temps. Il y a vraiment ce truc de quand t’es solo, quand c’est ton projet à toi, tu vas te mettre un milliard de paramètres dans la tête, alors que là on est tous les 3 et on va se donner cette direction-là, c’est plus simple, c’est naturel et ça glisse. Tu vas avoir tendance à moins te remettre en question, mais pas de la mauvaise manière tu vois, genre évidemment je suis avec mes potes et je veux faire le meilleur son possible, mais il y a un truc où c’est tellement naturel que tu te laisses aller.
On sait que tu n’as pas eu l’occasion de défendre OFF sur scène, comment tu te sens à l’idée de défendre OFFSHORE ?
J’ai hâte de ouf, pour moi c’est le truc que je veux le plus faire : partager les morceaux avec des gens, faire de la scène c’est fantastique. En novembre, j’ai eu la chance de faire le premier concert à mon nom à Nîmes. Pour te dire tellement j’étais pas prêt, je commence en faisant le morceau “OFF”, je rentre sur scène, et je fais une mesure, deux mesures, trois mesures… Et là je me rends compte que les gens sont en train de me backer de ouf ! Et en fait ça m’a perturbé de ouf, je m’y attendais pas du tout, j’étais plus concentré sur ma presta à la base que sur le reste, et ça m’a tellement déstabilisé que j’ai dis à Johnny Ola “attends pull up” et j’ai parlé avec le public en mode “Wesh c’est comment?”. Je suis même pas à Paris, ils connaissaient le morceau… Enfin ça m’a vraiment touché, et je sais pas c’est une sensation unique, j’étais sur un petit nuage et du coup en voyant ça, le stress que tu peux avoir est parti tout de suite. Je me suis dis ok, c’est chanmé, les gens connaissent ce que je fais, ils apprécient, donc vas-y let’s go on va profiter ensemble. Du coup là j’ai juste trop hâte !
L’album démarre sur un morceau qui s’appelle Météo, qui aborde tes humeurs que tu parviens à canaliser et à maitriser, puis sur le morceau de Schémas Monotones, tu affirmes que tes humeurs sont instables : te considères tu comme lunatique ? Si oui, est ce que ce n’est pas finalement un moteur à ton écriture?
C’est complètement le cas, je suis archi lunatique, dans le sens où un tout petit truc peut me matrixer, me faire sortir de mon humeur, parce qu’après je vais commencer à trop cogiter, à trop analyser. C’est sûr que dans un premier temps c’est un moteur dans mon écriture, puisque c’est ce qui me permet de mettre des mots sur mes maux, sur tout ce que j’ai en tête. C’est ce qui me permet de vraiment voir la musique comme un exutoire.
Une dernière question que je pose généralement pour conclure : est ce qu’il y a un artiste, un groupe qui selon toi mériterait plus d’exposition et à qui tu aimerais donner de la force ?
RobdBloc, c’est un très bon ami à moi et c’est un mec de mon studio, du Goldstein, et surtout c’est un très très gros kickeur qui mérite de la force de l’exposition !
Edge sera en concert le 19 mars à La Boule noire et le 16 juin 2022 à la Maroquinerie