Disiz dresse son autobiographie – le rappeur est une figure emblématique du Rap, et plus largement de la contestation. A l’époque comme il l’explique lui même, il avait vivement réagi à la publication des caricatures de Mahomet dans le journal satyrique Charlie Hebdo. Aujourd’hui, père de famille, il est horrifié par cet assassinat méthodique des tenants d’une certaine idée de la liberté d’expression. Pour lui c’est « La France qui est morte hier ».
Message de Disiz : Depuis ce matin je n’arrivais pas écrire. Et puis quelqu’un de bienveillant m’a écrit pour me demander des nouvelles et savoir ce que je ressentais. Ça m’a touché car je ne m’attendais pas à ce que cette personne pense à moi en cette journée. Et puis j’ai trouvé les mots. Je m’en servirai pour vous donner à vous, ceux qui me suivent mon sentiment sur cet évènement. Elle me demandait comment j’allais… Je suis dévasté. Je suis triste. J’ai peur pour mes enfants. Je suis tétanisé par un coktail de peur, de tristesse et de colère. Ça me touche et me remue le coeur sur trop de choses, je retiens des larmes depuis ce matin, des larmes de rage.
Je serai donc un otage de ce siècle.
A 19 ans j’écris un morceau pour mettre en garde contre l’escalade de violence et démontrer la stupidité de la guerre de quartier dans laquelle j’ai grandi et puis, un soir j’ai eu cette nouvelle de la mort de Romuald tué dans un drive by comme dans les films par des « petits » de mon quartier. Ce drame ne m’a jamais quitté, il a défini mon rapport à tout et a atténué tous les sourires que j’ai eu après et a conditionné le regard sur la vie des quartiers.
A 20 ans j’ai vécu le 11 septembre et j’ai passé 15 ans a me justifier tacitement en tant que musulman, sur un crime que je n’avais pas commis. Je venais d’être papa. …
Là j’suis papa de 4 enfants. Y a un an, j’ai essayé de répondre intelligemment aux amalgames de Charb sur leur vision rétrograde de ma musique et de tout c’que je défend depuis mes débuts. J’étais en colère qu’ils ne fassent pas la différence entre un rappeur et un rappeur, vexé qu’ils ne remarquent pas mon texte réfléchi, travaillé, sur un sujet que j’ai étudié dans mon coin pendant des mois à une période de ma vie. Qu’ils réduisent mon texte à « un chant communautaire religieux » alors que je me suis toujours considéré comme Français, et que dans le texte je ne parle que de cette communauté.
Ça m’écoeurait, pas eux, même eux !? Encore, non !? Pas soit disant des gens qui ont un sens de l’humour et donc, qui dit humour doit dire raffinement, doit dire esprit subtil non, qui doit savoir se jouer des généralités avec le soucis du détail. Comment cette soit disant élite Française du sens de l’humour redoutable et courageux pouvait avoir le même avis stupide sur le rap, qu’un pauvre maire UMP qui n’y connait rien ou qu’une vieille dame d’un autre temps qui pense que tous les rappeurs sont millionnaires, stupides, etc, etc ? Alors j’ai répondu à la mauvaise foi par la mauvaise foi. A l’humour décapant par la punchline décapante. En me disant que c’était de bonne « guerre ». Leurs dessins à répétitions sur l’Islam ne m’a jamais fait rire et au plus profond de moi ça m’irritait, mais c’est intime, je n’ai jamais eu aucune réaction public sur ça, je n’en ai jamais parlé sur les réseaux, parce qu’au plus profond de moi je pense que chacun dis ce qu’ils veut, que chacun assumes le choix de dire telle ou telle chose, mais surtout j’ai toujours pensé que la meilleure façon de montrer, de montrer, non pas de défendre, ma religion était d’être réfléchis et tempéré. Un peu comme montrer une bonne image de ses parents et montrer que tu es bien éduqué en public pour ne pas leur faire honte et ne pas ternir leur image, tellement tu les aimes et tellement tu leur doit tout.
J’ai bien plus de haine refoulée que je retiens tant bien que mal, sur la propagande du discours de certains rappeurs, toute cette clique d’égoïstes qui se font leur argent sur la jeunesse des ptits chez moi, combiné aux discours de certains intellectuels, que pour certaines couverture d’hebdomadaire pas satyriques eux, qui n’ont pas la carte de l’humour, qui eux font avec de vraies photos des caricatures destructrices, que pour Charlie Hebdo et certains de leurs dessins que je trouve ignobles mais inoffensifs réellement, mais même pour tout ça, à chaque fois je dis rien j’avale mon fiel.
Et là ce matin je vois ce drame horrible qui me glace le sang. Je pense à ma mère a mes tantes, qu’est-ce qu’elles vont encore penser des musulmans ? Elle aura encore peur demain en allant à son travail.
J’ai pensé à vous, aux gens qui me suivent. Certains m’ont écrit.
Et là, j’ai de nouveau ce sentiment de honte, honte d’une chose que je n’ai pas faite, à laquelle je n’ai jamais pensé même dans mes colères les plus profondes.
Je hais la violence, elle me tétanise. Pourtant si les chose s’envenimaient, si la guerre civile éclataient je tuerais n’importe quel malade qui s’approcherait de mes gosses.
Vivre sous la peur, j’ai connu, je connais à mon niveau, mais je choisis toujours par instinct de survie, la lumière, même si elle est faible. Même les mecs, ces chiens qui ont voulu me racketté, auxquelles je n’ai rien cédé, plutôt crevé, j’ai pardonné à celui qui m’a demandé pardon comme un homme.
Je suis trop triste, je pense aux familles, perdre quelqu’un c’est déjà dur mais dans ces circonstances c’est le vide le néant projeté d’un coup. Ça me rappel ces gosses qui ont été tué sur une plage cet été, quand l’implacable s’abat soudainement.
Tout au long de la journée, j’ai eu plein de coups de fils auxquels je n’ai pas répondu, beaucoup m’ont écrit. ..
Mon » public attend ma réaction mais j’suis éteint, j’ai plus d’énergie. J’suis triste et je suis effondré par un drame qui plonge encore plus l’avenir de mes gosses dans un cancer lattent, ce cancer d’avoir à vivre avec le fait qu’ils sont potentiellement des gens à risques parce qu’ils ont des prénoms musulmans, alors que je ne sais même pas si ils le seront plus tard et ça les regarde, ça ne m’appartient pas.
Je ne sais pas réellement qui sont tous ces tueurs au sang froid dans le monde entier qui arrivent à tuer sans sourciller un déjà à terre ou un adolescent noir désarmé et ils me glacent le sang.
Rioufol me donne envie de vomir. Zemmour me dégoute, Houellebecq me débecte…
Je vois ce que j’ai écrit dans mon roman y a de ça 3 ans devenir réalité sous mes yeux. Si il y a des rêves prémonitoires, je vis un cauchemar prémonitoire. J’ai putain de peur, putain de merde.
Depuis que j’suis petit j’ai peur du drame, le drame de l’histoire de ma mère. J’ai grandi avec la peur du drame en bas de mon immeuble, sur le chemin du collège, le drame aux infos, le drame au Nigéria, le drame qui peut surgir d’une pochette surprise macabre à tout moment.
La France n’est pas en deuil de Charlie Hebdo, ni de la liberté d’expression. La France est en deuil d’elle même, celle d’hier est morte elle ne sera plus jamais pareille. »
La Lettre ouverte de Disiz après le drame de Charlie Hebdo !
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