Le Rap : un milieu de voyous misogynes ? Les clichés ont la vie dure. De tous temps, les femmes ont contribué à la construction de l’imaginaire et de l’histoire du Rap. Cantonnées à un rôle de choristes lors des premiers souffles du Rap français, elles ont fini par arriver sur le devant de la scène puis elles ont imposé leur féminité. Plus besoin d’être un garçon manqué pour faire du Rap, pas non plus la peine de jouer la veuve épleurée, les femmes dans le Rap sont les meilleures représentations du féminisme.
Les débuts : Les Choristes
Bien sûr on ne parle pas des choristes de Bruno Coulais, vous savez ce film où un chauve qui jouait dans « Les Bronzés » s’amuse à faire chanter des têtes blondes un peu turbulentes. Pas sûr que la méthode marche avec nos têtes brunes du 93… Justement, on parle d’une époque où les parisiens emmenés par NTM et les marseillais emmenés par IAM jouaient aux pionniers du Rap français. Il y avait le NAP de Abd’Al Malik bien sûr, ATK et plus tard sont arrivés Booba et Ali. A cette époque, l’autotune n’était pas encore la norme en termes de Rap. Donc avec leurs grosses voix d’écorchés vifs, les rappeurs avaient énormément de mal à gérer les refrains. Ils utilisaient donc des choristes femmes ou … des chanteurs de R’n’B. L’une des odes les plus célèbres et les plus mainstream de cette époque est le petit son de Mystik « Le Fruit défendu » en featuring avec K-Reen.
Dans un autre titre datant des années 90′ qui est pourtant un banger absolu du Rap français, le refrain est assuré par une choriste, mais le titre officiel n’y fait même pas référence. Honte absolue ! Ce titre c’est bien sûr « Bad Boys de Marseille » d’Akhenaton avec sa clique d’Iam et les petits jeunes de la Fonky Family. Le clip est lui aussi une réussite absolue.
Vraisemblablement, il faudra attendre la fin des années 90 pour voir le Rap féminin sortir de l’écueil de « l’accompagnement » et du bon featuring. Le rôle de pionnière du Rap français revient à Lady Lastee qui avec son album « Black Mama » va faire énormément pour le Rap français. Son opus sort en 1999. Le titre « Et Si… « que la Black Mama a dédié à son frère disparu est un véritable banger qui fera le tour des radios et des télés.
Lady Lastee assume complètement sa part de féminité mais ne joue pas de ses charmes.. Elle ne verse pas dans la vulgarité comme une Nicki Minaj. Et elle est très appliquée au niveau du flow et des textes. Elle n’avait rien à envier aux autres rappeurs. Cependant, il n’y a aucune différence entre le Rap féminin et le Rap masculin. Finalement, ce rap s’adresse autant aux hommes que le Rap masculin.
Si le public Rap des années 90′ était cantonné à une certaine cible. Les années 00′ sont celles de la démocratisation et de l’ouverture. Le public du Rap se diversifie et les femmes font véritablement leur arrivée dans le Rap. C’est Diam’s qui se qualifie elle même de « grand mère du rap français » dans son dernier titre « Et si c’était le dernier » extrait de son dernier album SOS qui va faire énormément pour le Rap féminin. Beaucoup de femmes y trouveront leurs aspirations.
Diam’s : La montée en force des femmes
Diam’s n’est pas née d’hier. Déjà dans les années 90, la jeune femme un peu garçon manqué avait lâché quelques titres et s’était faite remarquée par les insiders du Rap. Mais c’est vraiment le titre « DJ » extrait du bien nommé « Brut de femme » qui constitue l’acte de naissance de Diam’s. Le titre DJ dépasse le million de ventes à une époque où le streaming et les tricheurs n’avaient pas encore fait monter les enchères.Malgré son style un peu garçon manqué assumé, les morceaux de Diam’s s’adressent avant tout un public féminin. Le titre « DJ » est à ce titre assez révélateur. Diam’s cependant représente beaucoup plus « qu’une femme rappeuse »
« Je suis pas une blonde platine ni une bombe latine «
Avec Diam’s tout d’abord c’est la première fois en France que le Rap s’adresse aux femmes. D’autre part, la rappeuse est anti-conformiste. Elle n’est pas là pour exhiber ses formes voluptueuses comme la plupart des rappeuses US. Ses textes sont tranchants et virulents. Et c’est n’est pas parce que c’est un garçon manqué qu’elle rejette sa féminité. C’est tout une jeunesse féminine des quartiers qui se reconnaît dans cette petite boule de nerf très engagée pour la cause féminine et contre le Front National. Diam’s a véritablement ouvert la voie à des nombreuses artistes.
La rappeuse aura cependant énormément de mal à gérer la célébrité. Elle s’en prend à des paparazzi, ne veut pas trop en dévoiler sur sa vie privée. Aujourd’hui elle a quitté le monde de la musique, s’est mariée, et s’est convertie à l’Islam. Toujours aussi engagée, elle est auteure. Peut être que Diam’s était un peu trop « Brut de Femme » pour le Rap. Sa carrière reste cependant exceptionnelle.
Dans un style encore plus engagé on retrouve Casey. Encore plus crue que Diam’s dans ses propos, la rappeuse fait preuve d’un flegme exceptionnel de ces débuts à aujourd’hui. Dernièrement, elle a participé au collectif Asocial Club avec ses potos Raff et confères. Ils ont sorti un album éponyme extraordinaire qui n’a peut être pas été disque de platine, mais qui a connu un véritable succès d’estime, salué par toute la critique y compris par les Inrockuptibles. Le couplet de Casey sur le titre « Anticlubbing » est à ce titre une bonne illustration. Elle manie l’humour, la rime, et le verbe avec une précision de chirurgien.
Ils m’ont sorti une boisson / Les tontons au bled t’auraient déjà crucifié
Casey a été de tous les combats. Il n’est pas étonnant de la retrouver sur le documentaire qui a suivi le procès de l’affaire Zyed et Bouna. Elle intervient fréquemment dans la vie de la cité. Casey cependant n’écrit pas de textes pour les femmes. C’est une rappeuse que tous les hommes peuvent écouter sans rougir et comme Diam’s elle ne met pas l’accent sur sa féminité mais sur son talent. Un diamant pur.
Les années 1990/2000 ont aussi vu l’émergence de Princess Aniès, dans un profil assez polyvalent similaire à celui de Diams elle fut un précurseur important pour le rap féminin. Membre du groupe Les Spécialistes elle était déjà considérée comme l’une des meilleures rappeuses de son époque avant même d’avoir sorti un seul projet solo. C’est également la première rappeuse à avoir animé une émission de radio Générations 2000. Son premier album « Conte de faits » sera la meilleure vente en indépendance de l’année 2002, on y retrouve Oxmo Puccino sur « Le parcours d’une larme » mais aussi un titre qui aborde un thème dans lequel s’est reconnu une rappeuse plus contemporaine dont nous allons parler un peu plus tard : « Si j’étais un homme ».
Liza Monet : La tentative US
Liza Monet n’est pas une artiste majeure dans le Game féminin dans la mesure où elle n’a pas pour l’instant réussi à s’imposer définitivement. Son cas cependant mérite d’être observé. Car Liza Monet a tenté de débarquer dans le Rap comme une forme de Nicki Minaj à la française. Mettant en avant ses formes voluptueuses, souvent dénudée, avec des textes ultra crus, l’ancienne actrice de X a essayé d’américaniser le style des femmes rappeuses.
Son côté « Bad bitch » assumé n’a pas pour l’instant convaincu le grand public en France pour plusieurs raisons mais elle fait quand même des centaines de milliers de vues. Mais c’est une bonne tentative de la part de cette rappeuse si subversive. Jouer de ses formes et de son sex appeal c’est aussi une forme de féminisme.
Sianna : Le renouveau Rap français
Bien avant de lancer Remy, Mac Tyer avait repéré une certaine Sianna. La jeune rappeuse a par ailleurs featé avec son mentor sur le titre « Appel Manqué » extrait de son EP éponyme. Sianna c’est l’anti Liza Monet, elle ne joue pas du tout de ces formes, ni de son sex appeal, c’est déjà une grande lyricist. Dans un milieu censé appartenir à la gente masculine, elle arrive en kickeuse et non pas en veuve épleurée.
La jeune rappeuse qui a sorti son album « Diamant Noir » est peut être le meilleur espoir du Rap féminin en terme de talent pur. Elle prépare actuellement un nouveau projet dont est extrait le titre « Négatif » qu’elle vient de dévoiler. Sianna joue effectivement de son talent pour réussir. Elle ne joue pas la femme, elle est une.
Shay : Le fond et la forme ?
Le 92i de Booba se devait d’avoir une représentante féminine. Et c’est bien dans le crew de B2O que Shay a commencé. La rappeuse ultra hardcore qui avait featé avec son mentor a laissé ses habits de « Cruella » pour devenir la bombe du Rap féminin. Avec un tout nouvel album un peu rose en signe de renaissance dans le Rap Game, Shay allie Sex Appeal, impertinence, provocation, textes crus mais réfléchis et un grand sens de la mise en scène. Son album « Jolie Garce » bien nommé est peut être la meilleure représentation de l’image de la femme dans le Rap d’aujourd’hui.
Shay est magnifique mais pas seulement. Son passé de rappeuse pure et dure joue également un grand rôle dans sa construction lyricale. Ce qui caractérise Shay qui a fait le tour des journaux féminins au moment de la sortie de son album c’est l’imagerie qui l’accompagne. Dans ces clips, Shay est une sorte « de déesse inaccessible ». Aussi douée qu’un SCH pour se mettre en scène, Shay a de « jolis » jours devant elle.
Les nouvelles bombes !!
Difficile de parler de toutes les femmes qui sont dans le Game. La désormais très célèbre Marwa Loud qu’on compare à Jul par exemple a fait une entrée tonitruante dans le Rap Game explosant le compteur sur YouTube à chacune de ses sorties et faisant quasiment l’unanimité chez les anciens. Evoluant dans un style très ambiancant, Marwa se rapproche de Lartiste au niveau du style, et contrairement à ce qu’on imagine elle n’a pas un public uniquement féminin.
Impossible de parler des nouvelles bombes du Rap Game féminin sans penser à Chilla signée chez Universal Music. Tout ce qui doutait de sa capacité à rapper mieux qu’un mec devrait regarder son freestyle dans le cercle. La jeune rappeuse arrive elle aussi à allier sa féminité avec un verbe ultra tranchant. La provocation fait partie de son ADN. Des lyrics puissants pour cette artiste qui fait sortir le Rap des clichés dans lesquels il s’est enfermé. Son album « Karma » est une véritable réussite tant du point du vue de l’artistique que du commercial. Son titre #Balancetonporc est puissant.
Si les anciennes rappeuses jouaient les veuves épleurées ou les garçons manquées, les rappeuses d’aujourd’hui comme Chilla ou Shay montrent qu’on peut faire du Rap en étant une femme sans pour autant faire d’énormes concessions avec soi même. Le Rap est moins misogyne qu’on le pense.