Pit Baccardi et Dosseh sont frères. Ils ont déjà collaboré par le passé sur le morceau « Frères d’armes », extrait de Bolide, ainsi qu’avec Sinik sur le titre « Urbaine poésie ». Dosseh fait partie des derniers piliers d’une écriture exigeante en France. Tandis que le rap français puise de plus en plus son inspiration dans les tendances du rap américain (trap, drill), l’exception culturelle du rap à la française — fondée sur la beauté de la plume, héritée de la chanson — s’efface peu à peu face à la mondialisation du genre. Pit Baccardi, lui, demeure un vestige de cette époque. Monument du rap français, il a aussi marqué l’âge d’or du mouvement avec son morceau éponyme.
« La rue a fait de moi ce que je suis » — ainsi commence le titre « La Rue », extrait de Pit Baccardi, véritable hymne à la jeunesse des quartiers et à sa devise « Sexe, Pouvoir et Biftons », chantée par Ärsenik du Secteur Ä :
« Chez l’Éternel, celui du haut, je me souviens pas du reste / Et si je pouvais faire le destin / Je mettrais une lumière à la face cachée de la rue / Pour chasser l’ombre et transformer nos ruelles en avenues »
C’était une autre époque : Time Bomb, Black Mafia… Pit faisait alors figure d’absolue référence dans le paysage. Vingt-cinq ans plus tard, le monde a changé. Sa génération s’interroge. Quand le Wu-Tang Clan lançait son cri de guerre gangsta rap en 1993 avec « C.R.E.A.M. » (Cash Rules Everything Around Me), Joey Bada$$ lui répondait en début de carrière dans « Paper Trail$ » par un renversement mordant : « Cash Ruined Everything Around Me ».
Alors qu’il fête ses 25 ans de carrière à l’Olympia, Pit Baccardi reprend le micro aux côtés de son frère Dosseh pour une ultime réunion de ceux qui ont élevé l’écriture au rang d’art :
« Élevé au rap des années quatre-vingt-dix, donc avant qu’l’écriture s’amoindrisse
J’connais la rue et tous ses appendices, qu’importe c’que tous ces fils de tapin disent »
Pit Baccardi et Dosseh passent aux chiffres romains !
La composition instrumentale coule de source. À morceau exceptionnel, beatmakers d’exception : Tarik Azzouz et Mighty Max. Tarik a signé certains des plus grands moments du rap US. On lui doit des titres majeurs de Meek Mill (« What’s Free », « Blessed Up », « Shine ») ou encore des collaborations mémorables avec DJ Khaled (« God Did », « Thank You »). Depuis quelque temps, ce géant du son américain s’intéresse de près à la scène française. On le retrouve ainsi au piano sur « Scintiller », le dernier titre de Liim’s, ou encore à la production du morceau très second degré d’Alkpote, « Pétroville ». Le titre qu’il signe ici est à la fois fidèle à l’esprit des 90s et résolument ancré dans une rythmique contemporaine. Les deux frères d’armes s’y répondent avec une complicité intacte.
Si Dosseh lâche :
« Que Dieu me préserve d’en arriver à demander aux p’tits : « Wesh, t’as pas un dix ? »
J’suis de l’époque où « poucave » rime avec « cave », donc devant les favots, je donne pas d’indice »
Pit Baccardi lui rétorque :
« Dans les faits, je fais peu de feat, ça rend épique Dosseh et Pit
Loro Piana, costume Zegna, j’ai reçu le cadeau d’un ami
J’pense qu’à nos âges, on se le permet et on sait c’que c’est, le goût de la vie »
Le visuel est signé Transac. Tourné en noir et blanc, on y voit les artistes à l’épicerie, en voiture, ou à Paris. Un clip simple, presque discret, mais déjà classique — un classique qui ne dit pas son nom.