Il s’est d’abord fait connaitre comme le beatmaker à l’origine de morceaux à succès avec Maes ou encore Ninho, puis il s’est emparé du devant de la scène avec un premier EP « Ichi » sorti à l’automne dernier. À l’aube de la sortie de son nouveau projet « Nitroyu », on est allé à la rencontre du rappeur dans un contexte de Printemps de Bourges, où Susanoô a fait parti de la prestigieuse sélection des iNOUïS 2022. Portrait d’un artiste qui sème sa musique comme il récolte la tempête.
Hello Susanoô, est ce que tu peux te présenter en quelques mots pour ceux qui ne te connaitraient pas ?
Moi c’est Susanoo, j’ai 24 ans et je fais du rap-chanson mélangé.
Est ce que tu peux me parler de ton premier souvenir avec la musique ?
Le plus lointain dont je peux me rappeler, c’était ma grand-mère qui me mettait de la chanson française en faisant le ménage, le dimanche. À l’époque ça me prenait la tête, parce que je me disais « C’est quoi ces vieilles chansons-là ?, à l’ancienne ». Avec le recul aujourd’hui, je me rend compte que ça m’a beaucoup influencé indirectement.
Il y avait quoi comme artistes ?
Il y avait du Brel, du Claude François, beaucoup de paroliers. Je me souviens que quand j’ai commencé à essayer d’écrire, et que j’ai dépassé ma période « j’écris n’importe quoi pour faire comme les autres », que j’ai commencé à écrire pour moi-même, je me suis tourné dans cette direction-là. Direction pas en termes de chanson, mais plutôt dans la façon de raconter une histoire avec le texte.
Et tes parents, ils écoutaient quoi ?
Ils écoutaient de la musique africaine. Je suis d’origine camerounaise, du coup ils écoutaient pas mal de makossa et d’autres styles traditionnels et populaires camerounais. Il y avait la chanson française aussi, mais celle des années 60/70. C’est mon frère qui m’a fait tomber dans le rap, avec Sefyu et Alpha 5.20, j’allais dans sa chambre et je squattais les CDs. Ce mélange musical retransparaît aujourd’hui dans mes morceaux et dans la façon dont j’essaye d’appréhender la musique. J’essaye vraiment de mélanger toutes ces influences, qui me représentent chacune toutes, moi.
Est ce que tu as réalisé rapidement que toutes ces références musicales allaient devenir de véritables influences dans la composition de ta musique ? Ou tout ça s’est fait finalement assez naturellement ?
C’était indirectement : au début je faisais juste des morceaux qui me plaisaient à moi. Puis au bout d’un moment, les gens ont commencé à me dire qu’il fallait que je choisisse, que je me mette dans une case, que je me positionne. J’y ai beaucoup réfléchis, je me disais que j’allais arrêter ça pour me concentrer sur ça… Puis je me suis dis qu’en fait c’était dommage. Et aujourd’hui, j’essaye de défendre cette pluralité là. Je ne vois pas pourquoi parce que quelqu’un n’écouterait pas tout ce que je fais, moi je changerais une partie de ma musique. C’est à ce moment-là que je me suis dis que c’était bien de garder toutes ces facettes.
On te rencontre aujourd’hui au Printemps de Bourges, car tu fais partie de la sélection des iNOUïS du Printemps de Bourges 2022. Est ce que tu peux nous en dire un peu plus sur comment ça se passe ?
On a une semaine avec des intervenants de différents domaines de la musique, on a des gens sur l’édition, sur le management… Ce genre de choses qui peuvent aider quand tu es seul sur ton projet. Le matin on a des ateliers et des formations, puis il y a les concerts des iNOUïS depuis mercredi. On se retrouve tous un peu après au Jardin Spotify pour souffler un peu et reprendre des forces pour enchaîner avec les concerts des têtes d’affiche.
Est ce que tu as l’impression que ça t’apporte ?
Ça m’apporte beaucoup sur deux aspects : dans un premier temps je rencontre beaucoup de professionnels. J’essaye de leur poser un maximum de questions, d’obtenir pas mal de conseils. Cette année le parrain des iNOUïS c’est Abd Al Malik, on a donc pu parler avec lui de sa vision de l’artiste notamment et de sa vision de l’art plus globalement. Le deuxième aspect sur lequel cela m’enrichit énormément, c’est le fait d’être entouré de pleins d’artistes d’à peu près ma génération qui font face aux mêmes problématiques, qui ont la même envie, la même dalle. Je me nourris de tout le monde, et on se fait des soirées ensemble le soir, ça part en impro autour de la musique, et les mélanges sont super intéressants.
Es-tu allé voir les autres iNOUïS en concert ?
J’ai vu tout le monde, sauf quand je jouais et pendant la promo.
Le dispositif iNOUïS est un dispositif national qui repère des artistes dans toute la France avec de multiples antennes réparties sur le territoire. Est ce que tu penses que lorsque tu es artiste, il est nécessaire d’habiter à Paris pour le développement de ton projet ?
Je suis un peu partagé, parce que moi pour avoir vécu à Paris un peu petit et maintenant habiter au Mans… Je pense que pour certain c’est vraiment important. Dans mon entourage je le vois, il y a beaucoup de gens pour qui c’est une priorité. Je pense qu’à partir du moment où tu as des contacts, il n’y a plus d’obligation d’être sur place. Moi je suis bien sur Le Mans, et comme je fais tout moi-même à la maison, il y a des choses que je n’ai pas besoin d’aller chercher à Paris, comme par exemple les studios d’enregistrement. Sans doute qu’il y a une échelle où ça commence à devenir obligatoire. Puis Le Mans, c’est pas très loin de Paris (rires). C’est juste que s’il te manque déjà des choses chez toi, elles ne seront pas plus ailleurs.
Il y a ton nouvel EP qui vient de sortir, comment tu te sens à l’aube de cette sortie ?
Je suis content dans le sens où le projet il est exactement comme je voulais qu’il soit en termes de musicalité, de propos, de discours. J’appréhende parce que comme à chaque fois que tu fais une sortie, tu te demandes si les gens vont être intéressés par tout ça, comme on livre souvent des histoires plus ou moins personnelles. C’est un peu flippant, mais je suis content, j’attends de voir les retours, et les premiers sont plutôt bons. Puis là je suis encore plongé dans les iNOUïS, l’EP est sorti… C’est une période intense, je suis dans une petite euphorie.
Ton projet s’appellera « Nitoryu », qui désigne un style de combat japonais au sabre, tout comme ton nom de scène, c’est une référence à la culture japonaise. Comment est née ton affinité pour cette culture ?
Ça a commencé au collège, j’étais fan d’histoire et de mythologie en générale. J’ai vraiment saigné les mythologies gréco-romaines, égyptiennes… J’étais coincé au CDI avec les livres (rires). Quand j’ai commencé à avoir un peu fait le tour, je me suis éloigné de la Méditerranée pour aller un peu plus du côté de l’Afrique subsaharienne, l’Amérique du Sud, les pays Scandinaves… Pour finalement arriver au Japon, où j’ai découvert un folklore qui m’a vraiment parlé. Susanoô : si j’ai pris ce pseudo, c’est parce que lorsque j’ai commencé à rapper, je rappais rapidement un peu comme Hayce Lemsi ou encore Eminem. Je me disais que j’étais rapide comme le vent, « le Dieu des Tempêtes », et le Dieu des Tempêtes c’est Susanoô dans la mythologie japonaise, donc ça partait de là. Et plus tard, on a fait ce parallèle avec Susanoô qui affronte les Oni, qui sont des démons. Et on a joué avec cette thématique.
Sur ton nouveau projet, on passe de morceaux comme « Force » à « Premier soir », les titres y sont très éclectiques. Cumulant aussi la casquette de beatmaker, est ce que c’est toi qui t’aies occupé de toutes tes prods ? Si oui, est ce que c’est quelque chose que tu préfères ?
Sur tous les morceaux que je fais, on doit être sur un pourcentage de 80/90% où ce sont mes prods. C’est pas forcément que je préfère, c’est plutôt que de fait, naturellement, ça se passe comme ça. Quand j’ai commencé le beatmaking, c’était avant tout pour faire des morceaux qui me correspondraient à 100% dans la personnalité. Plus ça va, plus j’arrive mieux à transmettre ce que j’ai envie de dire autant dans les paroles que dans la musique. Mais je ne suis pas fermé, je fais beaucoup de collaborations avec d’autres beatmakers. Si je n’ai rien à rajouter, je ne rajoute rien, si je suis bloqué, je n’hésite pas à demander de l’aide.
Comment se déroule ton process de composition ?
Je commence par l’écriture en m’accompagnant au piano ou à la guitare. Une fois que j’ai une bonne partie ou en tout cas la structure du morceau, je commence la prod et l’arrange en fonction des 70% de textes qui sont déjà là.
Est ce qu’il y a un artiste ou un beatmaker à qui tu aimerais donner de la force et qui selon toi n’a pas assez d’exposition ?
En artiste je dirais Jack Flaag et Allebou, et en beatmaker Dada et Capuche. Et tu te rendras compte que je t’ai fais une sélection 100% Le Mans.